Justice versus raison d’Etat

Les premières réflexions sur la raison d’Etat, mais sans que celle-ci ne soit nommée, sont habituellement attribuées à Nicolas Machiavel, qu’il a théorisé dans son livre  » le Prince ». La raison d’Etat est un principe d’action politique selon lequel l’intérêt ou la sauvegarde de l’Etat prime toutes les autres considérations, notamment les normes de l’organisation sociale, y compris celles de la morale et du droit. Ainsi, la raison d’Etat est invoquée par les gouvernants pour justifier une action illégale ou inconstitutionnelle au nom de l’intérêt public. Elle s’oppose aux notions de droit et d’Etat de droit.

Pourquoi donc ne pas abandonner du même coup ce que Mary Ann Glendon appelle « le discours sur les droits » ? La raison pour laquelle on ne peut le faire, ni en théorie, ni en pratique est que le langage des droits est devenu dans le monde moderne le seul truchement partagé et largement intelligible que nous ayons pour parler des visées ultimes de l’humanité et en particulier de ses visées collectives qui sont le terreau nourricier de la politique.

Les philosophes politiques classiques comme Platon et Aristote n’ont pas utilisé le langage des droits. Ils parlaient du bien et du bonheur des hommes et des vertus et des obligations requises pour les obtenir… L’usage moderne du terme de « droit » est plus pauvre parce qu’il n’englobe pas la variété des finalités humaines supérieures qu’embrassaient les philosophes classiques, mais il est aussi plus démocratique, plus universel et plus facile à saisir, depuis les révolutions d’Amérique et de France, les grandes batailles sur les droits témoignent de l’importance politique de ce concept le mot « droit » implique un jugement moral.

La poursuite unique de l’intérêt politique supérieur d’un Etat annihilerait toute idée de justice et de droit, tous les autres principes juridiques et constitutionnels deviennent secondaires. D’autres considérations entrent en jeu, conditionnées par le poids des États dans les relations internationales…

Le discours droits-de-l’hommiste n’a pas cessé de maintenir la grande confusion créée par la profusion des droits et les intérêts, et étant donné cette monumentale confusion un auteur James Watson a même proposé de parler simplement de « besoins » et « d’intérêts »humains au lieu de conserver à l’internationale cette fumisterie appelée « droits »…

Plus que les autres peuples les Américains tendent à confondre « droits » et « intérêts » en transformant chaque désir individuel en un droit non limité par les intérêts de la communauté. Ce qui accroît la rigidité du discours politique et transforme les États dans leurs rapports avec les États Unis en des coquilles affidées, battant en brèche et vidant tous leurs engagements légaux internationaux avec les autres États, finissant par exécuter des diktats illégitimes…

Quoique j’estime personnellement que les dernières positions américaines – qui n’étaient pas irréprochables sur le plan des droits de l’homme, voire les violaient ouvertement- n’ont aucun sous-bassement intellectuel, on peut leur trouver une certaine explication dans les écrits de Watson qui défend une approche utilitariste et conseille d’essayer simplement de satisfaire les besoins et les intérêts humains sans référence au droit, mais cela rejoint le problème typique de l’utilitarisme ; la question des priorités et de la justice lorsque les besoins et les intérêts sont en conflit …

Dans ce sens, Francis Fukuyama dans « La fin de l’homme » donne cet exemple frappant :
« un puissant et important dirigeant de communauté a besoin de se faire greffer un nouveau foie en raison d’un grave problème d’alcoolisme, je suis pour ma modeste part, un indigent malade en phase terminale, dans un hôpital public, mais avec un foie sain. Un simple calcul utilitariste cherchant à maximiser la satisfaction des besoins humains dicterait ici que je sois aussitôt privé de ce qui me reste de vie afin que mon foie soit transplanté pour sauver l’important dirigeant menacé – qui se remettra, du reste à boire- et tous les gens qui dépendent de lui. mais aucune société libérale ne le permet pour l’instant. »

L’avocat qui n’arrive pas à rétablir la justice et lutter contre l’arbitraire, parce qu’on lui a opposé la raison d’Etat a un cas de conscience. Car même s’il comprend que la justice cesse de fonctionner momentanément à l’invocation de la raison d’Etat, il est rongé par les remords d’être complice involontaire de cette machine qui broie inexorablement toutes les valeurs universelles auxquelles il croit.

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