Depuis que Pasteur a découvert le vaccin contre la rage, la prévention des risques n’a fait qu’évoluer jusqu’à fonder la quête du « risque zéro ». Vaine illusion, tant le risque est consubstantiel à la vie humaine, car dès que le premier Homo erectus a fait le choix d’adopter la station debout, il a pris un risque, celui de chanceler et de tomber, puis celui d’être plus visible aux prédateurs qui le guettaient. Mais cette prise de risque comportait également de formidables opportunités : celle de pouvoir cueillir les fruits qui n’étaient pas auparavant à sa portée, celle de le favoriser dans la chasse, et celle de se donner plus de chance de survie dans les duels avec les assaillants. Rien d’étonnant donc que la préoccupation du risque accompagne toute activité humaine et ce, d’autant plus que la société des hommes évolue et que la création et l’innovation s’accroissent.
Cette culture d’aversion du risque devient aujourd’hui ancrée dans nos sociétés où l’espérance de vie ne cesse de croître (78 ans au lieu de 48 ans en 1960 au Maroc). Il n’en reste pas moins que l’on peut difficilement catégoriser la réaction au risque sur un plan collectif. Chacun est confronté aux risques non maîtrisés et réagit individuellement en fonction de sa propre histoire, tout comme aux stimuli induits par son environnement social (ce que les assureurs appellent l’appétence au risque dans des contextes financiers déterminés).
Toutefois, dans un monde globalisé, surmédiatisé, et dématérialisé, il devient de plus en plus difficile de positionner sa propre réalité à travers le prisme des médias, l’invasion des flux incessants d’informations, et les crises qui envahissent la réalité pour en modifier la perception donnant parfois aux événements lointains ou peu probables et parfois juste fantasmés plus de consistance que le quotidien vécu.
Dans la société moderne de la peur, l’inquiétude et l’angoisse trouvent leur fondement dans la lumière aveuglante de faits surreprésentés et dans la réalité déformée qui va peser sur les choix et les comportements des personnes.
Or, la peur est différente de l’inquiétude, cette dernière peut être le carburant du lendemain, puisqu’elle est utile et peut être même positive, puisque c’est elle qui fait passer l’individu à l’acte. L’inquiétude accepte les réponses rationnelles, et il lui suffit de soulever des obstacles qui s’opposent afin d’être vaincue. Elle entre parfaitement dans une dynamique évolutive. Elle pousse par stimuli l’individu à s’extérioriser, tout comme la société à évoluer. Ne dit-on pas que « la civilisation croît en proportion de l’hostilité du milieu » ?
Tandis que la peur est différente, elle appartient à l’empirisme perceptif pour inconscients et développe de puissants mécanismes physiques et cérébraux destinés à nous pousser à réagir soit dans l’instant, soit de mobiliser des moyens pour modifier les éléments à l’origine de notre perception des menaces. Elle possède une part d’instinct, et se trouve ainsi difficile à combattre, car c’est une affaire de perception fortement individualisée.
Les sociologues considèrent que nous vivons dans une peur ancrée dans une société qui appréhende mal les risques. Faut-il avoir peur de l’avion ? La réponse rationnelle est forcément négative, ou plutôt presque négative, car le risque de crash d’avion existe, même s’il est très faible. Il en est ainsi pour la plupart des autres risques. Le problème de la peur réside dans sa perception. Si l’accident d’avion fait la une des médias, cette peur augmente considérablement dans l’esprit des gens. L’émotion soulevée par le nombre annoncé de victimes, la surabondance d’informations, la proximité lorsque les victimes sont de notre nationalité, la vision de l’angoisse des familles endeuillées qui ont perdu des proches dans ces accidents se justifient tout autant que l’angoisse qui peut en découler.
L’angoisse et la peur ne trouvent pas leur origine dans l’objectivité d’un accident, d’un attentat terroriste ou d’un virus si l’on considère les données rationnelles de ces évènements. La subjectivité et l’émotion l’emportent très largement et suscitent l’émoi public plus que des morts pourtant répétées des victimes des accidents de la route. Selon les statistiques officielles, 3.384 est le nombre de personnes décédées dans les accidents de la circulation au Maroc en 2019. Pourquoi ? Parce que l’accident de voiture et familier, bien plus que d’autres sinistres.
La prise d’un risque nom familier est plus propice à provoquer la peur. De surcroît, la peur est un facteur émotionnel fort transmissible, contagieux et dont l’entretien est aisé. La puissance psychologique et social de la peur est telle que certains politiques peu scrupuleux et spécialistes de la manipulation de masses n’hésitent pas à bâtir leur pouvoir sur la promotion de la peur.
Nous savons aujourd’hui comment fonctionne notre cerveau, nous savons surtout comment il est influencé par notre inconscient, que ce soit de point de vue de la mémorisation ou de la perception, notre cerveau souligne bien plus volontiers les signaux négatifs que les signaux positifs. Pourquoi ? Parce que notre inconscient nous joue des tours, aveuglé par notre instinct de survie, il tend continuellement à hypertrophier les risques qui nous entourent. Notre cerveau va mettre davantage en évidence la punition que la récompense parce que dans la nature la punition est risque de mort, tandis que la récompense et chance de repas…
Une société qui refuse le risque, tourne le dos à la vie et porte en elle le germe de la peur et de la perdition, ce que souligne avec justesse Simone Veil dans « l’Enracinement » : « le risque est un besoin essentiel de l’âme. L’absence de risque suscite une espèce d’ennui qui paralyse, autrement que la peur, mais presque autant. Le risque est un danger qui provoque une réaction réfléchie, c’est-à-dire, qu’il ne dépasse pas les ressources de l’âme au point de l’écraser sous la peur. Dans certains cas, il enferme une part de jeu. Dans d’autres cas, quand une obligation précise pousse l’homme à y faire face et constitue le plus haut stimulant possible. La protection des âmes contre la peur et la terreur n’implique pas la suppression du risque elle implique au contraire la présence permanente d’une certaine quantité de risque dans tous les aspects de la vie sociale, car l’absence de risque affaiblit le courage au point de laisser l’âme, le cas échéant, sans la moindre protection intérieure. Contre la peur, il faut seulement que le risque se présente dans des conditions telles qu’il ne se transforme pas en sentiment de fatalité. »

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