La vie est courte, précieuse, fragile et imprévisible. Toute vie a un terme, tel est le constat amer mais inexorable et irrécusable. La mort est inévitable, égalitaire et irréversible. C’est l’horizon de la consomption du temps humain. Elle est inscrite dans le fait même de vivre, c’est le germe de la destruction dans chaque instant vécu. Y-a-t-il syllogisme plus sentencieux que celui qui proclame que tout homme est mortel, on est tous des hommes, on est donc mortels. Le temps qui nous portait s’arrête sur un dernier instant, se dérobe sous nos pas et nous tombons. Nous sommes poussière et nous deviendrons poussière. C’est un instant qui se fige aussitôt en éternité. La mort ramène l’homme à sa véritable valeur : son œuvre en ce bas monde.

En Islam, une tradition prophétique rappelle de manière limpide et tranchante cette vérité : « Quand le fils d’Adam meurt, son œuvre s’arrête sauf dans trois choses : une aumône continue, une science dont les gens tirent profit, un enfant pieux qui l’invoque et prie pour lui. »

La mort est la grande niveleuse, sa loi est la même pour tous. Par-delà les différences superficielles, elle met à nu l’égalité fondamentale des hommes. Il est peut-être vrai, que les hommes « naissent et demeurent libres et égaux en droits » selon l’article 1er de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Mais ce qui est indubitable c’est qu’ils meurent véritablement égaux en tout.

Carpe diem, la formule d’Horace la plus connue, n’est pas une simple invitation à la jouissance, encore moins une fioriture occasionnelle. C’est la réponse centrale au défi du temps. Il s’agit de vivre l’instant présent comme s’il durera éternellement, en en tirant le meilleur. Qu’une vie humaine soit plus longue qu’une autre est de peu d’incidence au regard de leur commune caducité. Autrement dit, toutes les vies se valent temporellement, ce qu’on en fait qui est différent.

En arabe, on dit souvent, on est le « fils de l’instant », cette formule, suppose chez l’être humain qu’il soit conscient de l’instantanéité, de l’immédiateté de la Présence en lui du moment présent, aussi volatile soit-il. Nous savons depuis l’avènement de la « relativité générale » d’Einstein que ni le temps ni l’espace n’ont de réalité absolue, voire que « la notion de temps n’a pas de sens ». Ibn ‘Arabî écrit déjà au XIIIe siècle que le temps est pur néant, qu’il n’a aucune essence existentielle. Pour lui, temps et espace peuvent être « pénétrés, franchis, pliés et repliés ». Certains soufis auraient même, ainsi reçu le don surnaturel de « plier la terre », soit de parcourir en une fraction de seconde de grandes distances. Les physiciens contemporains cherchent à matérialiser cette temporalité même, en utilisant les « trous de ver »…

Nous vivons ainsi dans l’illusion d’un continuum temporel, alors que Dieu, le Créateur fait mourir Sa création à chaque instant (du moins au sommeil), et la ressuscite à chaque instant. Ses théophanies sont innombrables et, comme le précise Ibn ‘Arabî, ne se répètent jamais ! Vous n’êtes pas le même que celui qui lisait il y a une minute. Entre-temps, des milliards de vos cellules sont mortes tandis que d’autres sont nées, et cela s’est fait à votre insu… À chaque instant, Dieu est à l’œuvre. Cette illusion qui nous habite pare aussi les choses et les êtres d’une existence indépendante. Elle a pris pied en nous depuis la petite enfance, par notre accoutumance progressive à une vision subjective mais irréelle, du monde.

Or, à un certain instant seule la vérité du moment importe, il faut accepter sa situation, ne regarder le passé que comme une source de leçons et aller résolument vers l’avenir sans regrets ni craintes. Être dans l’instant présent, c’est ne rien vouloir anticiper, c’est focaliser mentalement et physiquement toute son intention sur ici et maintenant, car le passé est révolu et l’avenir n’est pas encore là.

Tout cela signifie, qu’il faudrait vivre sa vie goulument, non pas sans but précis ni altruisme, mais comme un passage de don de soi, une sorte de mission pleine de sens au service de soi-même et des autres. Peu importe sa position. On peut le faire en changeant son rapport au temps, sans le contrôler, car le faire, ne serait que source de stress et d’angoisse, il faut plutôt ralentir son rythme de vie, ne pas répondre à toutes les sollicitations et profiter de ce qui est essentiel.

Chercher son indépendance, aller à la quête de sa valeur intrinsèque, sa qu’indécence, c’est vivre en paix avec soi-même. Bien sûr, suivre les informations continues sur les crises, les statistiques macabres des pandémies et des misères humaines produisent un lourd préjudice émotionnel créent une peur programmée et injustifiée. Mais le défi est de s’en départir. Car des morts il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Les vivants veulent respirer la vie, car comme le dit Maurice Maeterlinck dans « Avant le grand silence » (1934) : « Que serait la vie s’il n’y avait pas la mort ? Qui oserait la vivre ? Car seule la peur, d’ailleurs absurde, de la mort, nous aide à prolonger la vie jusqu’aux déserts de la vieillesse. » 

 

 

 

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