L’idée d’autorité comprend au moins deux dimensions. D’abord, elle implique une sorte de soumission volontaire répondant à la légitimité d’un ascendant naturel, un charisme qui en impose. De la provient la distinction qu’elle a avec le pouvoir, celui-ci est plus une injonction qu’une inclinaison naturelle à faire adhérer les autres à sa doctrine. L’exemple le plus patent est celui de l’autorité de l’avocat et du juge. Le premier n’a que l’autorité qu’on veuille bien lui reconnaître. Celle de son vécu, de son expertise, de sa personnalité et de sa compétence, ce qui crée sa légitimité. Ces éléments font sa grandeur ou sa petitesse. L’avocat n’a de sacerdoce qu’en proportion de sa contribution. Le juge est « magistrat » par sa nomination par l’Etat, son « magistère », il l’obtient de cet acte et non pas d’une autorité ou d’une compétence personnelle. Un juge incompétent n’en perdrait pas son titre, ni son impérium de magistrat, pour autant. Un avocat incompétent dépérit et se meurt.

C’est la distinction principale entre autorité et pouvoir. L’autorité vous l’avez. Le pouvoir on vous le donne. L’autorité est généralement considérée par la sociologie juridique, comme un pouvoir légitime : un pouvoir qui n’a donc besoin que d’un minimum de coercition pour se faire respecter et obéir « On parle de l’autorité d’une personne, d’une institution, d’un message », écrivent Boudon et Bourricaud,  « pour signifier qu’on leur fait confiance, qu’on  accueille leur avis, leur suggestion ou leur injonction, avec respect, faveur,  ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer ». L’autorité ne peut donc être considérée purement et simplement comme un attribut du pouvoir, car il s’agit d’un concept relationnel. Il ne peut être question d’autorité que dans le cadre d’une relation entre les détenteurs d’un pouvoir et ceux qui lui sont soumis. Il y a autorité quand un pouvoir bénéficie d’un capital de confiance et quand les individus sur qui le pouvoir s’exerce lui conservent leur confiance. Ce pouvoir est alors perçu comme légitime et il acquiert l’autorité de ce qui échappe à la contestation.

En effet, même sur le plan religieux, l’Islam, en matière de pouvoir, confère au chef, d’abord à Mohammed le prophète, et après sa mort, au khalif, un pouvoir hégémonique. Il est le détenteur du pouvoir suprême et sacré. Il cumule dans ses mains les pouvoirs exécutif, administratif, judiciaire et religieux. Mais il n’exerce pas le pouvoir législatif (censé être une autorité), car Dieu seul est législateur. Comme il est conféré un pouvoir divin au représentant d’Allah et du prophète sur terre, on serait tenté de penser que le gouvernant, ne devant rendre des comptes qu’à Dieu et au prophète, dispose d’un pouvoir illimité. Il n’en est rien, car son pouvoir est largement pondéré. En effet, la loi donne la force légitime à l’Etat qui la décline par décrets, arrêtés et circulaires.

En matière d’autorité, il n’y a point de violence physique. L’autorité est cette forme de pouvoir qui s’exerce sans contrainte. Ensuite, le pouvoir qui en découle est indiscutable. L’autorité s’impose comme du non-négociable, c’est cette qualité qui entre en contradiction avec un éthos démocratique et égalitaire pour lequel tout se discute. D’habitude, l’inégalité écrase. Mais pas dans le cas de l’admiration : si vous admirez un philosophe, un musicien ou un dirigeant politique, vous êtes grandi par cet affect. Condillac touche un point très juste lorsqu’il affirme dans son Traité des animaux [1755] que l’homme doit son intelligence à sa capacité d’imitation. Nous avons besoin de modèles à imiter, afin de faire jouer en nous une espèce d’habitude à prospérer à évoluer à devenir meilleur.

Une question se pose toutefois dans cette distinction entre liberté et pouvoir. Discipline et liberté sont-elles incompatibles : tout se passe comme s’il fallait, au cours d’une éducation, passer par cette première couche de discipline pour s’en affranchir ensuite : le vrai problème est de définir les styles d’obéissance (conformisme, soumission, subordination, consentement, etc.) et d’étudier leurs limites.

La subordination, c’est quand on obéit en reconnaissant la légitimité du donneur d’ordres. La soumission, c’est une obéissance contrainte qui repose sur l’impossibilité de désobéir, à cause du coût trop grand à endurer. Mais l’énigme du dirigeant, c’est qu’il produit une obéissance produite par les assujettis eux-mêmes. La Boétie écrivait à propos de la tyrannie : « D’où a-t-il pris tant d’yeux sur vous, si vous ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous ? ».

L’énigme et le scandale du rapport pouvoir/politique tiennent dans ce qu’on pourrait appeler la « surobéissance », et c’est elle qu’il faut en soi désamorcer. À l’inverse de cette passivité complaisante, Aristote, au livre III des Politiques, définit l’obéissance du citoyen comme un rapport actif de commandement : le sujet libre, même quand il obéit à un autre, le fait de son propre chef. Obéir politiquement, c’est se commander à soi-même d’obéir. Dès lors, la désobéissance (à l’autre) peut s’entendre depuis cette convocation de soi devant soi-même, cette responsabilité donc : confronté à un abus du pouvoir ou à un ordre inique, je décide de désobéir, car il m’est devenu impossible de me commander d’obéir à ceci ou cela. Il s’agit de rester en toutes circonstances l’auteur de ses actes.

 

 

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